Les activités de l’été

J’aime bien réaliser des teintures végétales en été… Les journées sont longues, la lumière rend mieux les nuances subtiles des couleurs végétales. J’en profite pour enrichir la section « teintures  végétales » de ma page personnelle. Donc ces temps-ci, revenez souvent car de nouvelles pages vont arriver 🙂

Une couleur que j’aime beaucoup, celle de l’écorce de bourdaine. Sur le mohair elle donne un jaune superbe, un peu vieil or.

Mohair avec écorce de bourdaine

Mohair avec écorce de bourdaine

La bourdaine pousse partout en France. Méconnu, cet arbuste a pourtant de nombreuses cordes à son arc ! D’abord l’écorce et les baies dans une moindre mesure, ont des propriétés médicinales. Et puis l’écorce est tinctoriale, de même que les baies. Ensuite, le bois a une superbe couleur rose, et enfin la plante est utilisée en vannerie ! Une ressource locale méconnue.

Le beau rosé du bois de bourdaine.

Le beau rosé du bois de bourdaine.

Une autre plante commune qui offre un grand intérêt tinctorial : la rhubarbe, en plus d’être délicieuse en tarte.
Les feuilles, toxiques à ingérer, sont riches en acide oxalique et peuvent servir de mordant en teinture végétale. Les racines teignent en jaune d’or sans besoin de mordancer la fibre avant, et sans besoin de chauffer pour extraire la couleur. Et les post-bains font fortement changer la couleur d’origine. On obtient ainsi facilement et sans recours à beaucoup d’énergie, 3 magnifiques couleurs naturelles qui se marient très bien entr’elles !

Les couleurs de la rhubarbe

Les couleurs de la rhubarbe, en haut post-bain alcalin, au milieu la couleur sans modifications, en bas post-bain au sulfate de fer.

Une autre teinture tout juste sortie du bain, celle avec des noix vertes. Pour cette expérimentation, je n’ai pas eu recours au chauffage, j’ai simplement laissé les noix infuser plusieurs jours dans de l’eau, filtré, puis laissé les fibres plusieurs jours dans le bain.

Teinture avec des noix vertes, à gauche sur coton et lin, à droite sur laine (différentes époques de récolte).

Teinture avec des noix vertes, à gauche sur coton et lin, à droite sur laine (différentes époques de récolte).

Les noix se récoltent vertes, vers le 21 juin. Cette année j’ai récolté un peu plus tard. Je pense que cela explique en partie la différence de couleur entre mon petit carré tissé, et mon écheveau de droite, tous deux sur laine. La teinture du carré tissé a été réalisée il y a 2 ans, les noix avaient été récoltées un peu avant le 20 juin et j’avais fait chauffer le bain de teinture.

Je n’ai pas de but précis quand je teins, et comme j’aime expérimenter pour voir quelle couleur sortira de telle plante, je fais de petits écheveaux de 100 à 200 m, à partir de fil en cône la plupart du temps (parce que je pense tissage plutôt que tricot), en laine, coton, chanvre et lin essentiellement.

Pour cela, je m’aide d’un outil fort pratique, récupéré lors de la fermeture d’une filature.

Un dévidoir

Un dévidoir du début 1900

L’inscription au pied du devidoir indique « M. Defraine –  Bruxelles ». Difficile de donner une date de construction, je n’ai pas trouvé d’indice, juste un catalogue où ce modèle est présenté en page 23.

Détail

Détail

Il s’agit d’un devidoir manuel qui fait métreur de fil en même temps, et permet de réaliser jusqu’à 5 échevettes de 1 m de circonférence. Vestige d’une période disparue ou presque, construit pour durer…

Les usures du temps

Les usures du temps

Je me demande bien combien de milliers de kilomètres il a déjà métré… il a pris sa retraite dans mon atelier, mais il ne prends pas pour autant la poussière !

Et après les séances teintures, petite pause méritée, avec vue depuis la table de la cuisine sur le jardin aux couleurs de l’été… le bonheur est dans les choses simples de la vie.

Pain au levain

Pain au levain

Couleurs de la nature

Mon été aura été placé sous le signe de la couleur et des casseroles.

Mon petit vélo spécialement équipé, m’a permis de faire rapidement les nombreux trajets entre l’atelier teinture, et la maison, séparés d’environ 200 m. Je ne me serais pas lancée dans les teintures végétales si je n’avais pas eu une pièce dédiée. La teinture végétale est salissante, encombrante, et l’on est amené à manier des substances, y-compris végétales, incompatibles avec l’alimentation.

Je « voyage » accompagnée de mes ouvrages de référence (ici, « Le Monde  des teintures naturelles » de Dominique Cardon, mon premier livre), dont le nombre grandit au fil des semaines.

Lorsque je teins, je ne cherche pas à obtenir une couleur particulière avec un végétal (ou animal, comme la cochenille), mais j’explore plutôt le potentiel tinctorial que pourra me procurer telle matière première.

J’ai ainsi exploré en partie la cochenille, je dis en partie parce qu’il me reste encore à obtenir des violets plus soutenus, et des orangés, peut-être encore d’autres nuances dont j’ignore encore l’existence aujourd’hui.

Toutes les couleurs ci-dessus ont été faites uniquement avec de la cochenille, Dactylopius coccus. C’est un insecte parasite des cactus.

La teinture à la cochenille est sensible au pH (potentiel hydrogène, c’est à dire l’acidité ou la basicité d’une solution acqueuse) du bain de teinture.

En fonction du pH, les couleurs obtenues diffèrent. Bain acide : couleurs rouge cramoisi à oranges. Bain basique : couleurs carmin à violettes. Le mordant utilisé, les sels métalliques comme l’alun, le sulfate de fer, de cuivre, les tanins ou l’acide oxalique, influe aussi sur la couleur, de même que l’absence de mordant, car certaines teintures n’ont pas besoin de mordant pour teindre la fibre.

Ci-dessus, de la cochenille sur écheveaux de pure laine. De droite à gauche : laine non-mordancée (rouge foncé), laine mordancée avec 10% d’alun et 6% de crème de tartre (cramoisi, pH plutôt acide), laine non-mordancée en pH légèrement basique (violet), laine non-mordancée avec  post-bain au sulfate de cuivre (parme), et enfin deuxième bain de teinture sur laine mordancée (rose clair).

A la fin de l’été, j’ai mis de côté tout le mohair que j’avais teint, pour l’exposer lors de la fête de la tonte chez Marylène.

La gamme chromatique n’est cependant pas complète, je l’agrandirait au fil du temps.

J’ai aussi beaucoup travaillé avec la garance. C’est une petite plante insignifiante, rampante, vivace. Quand on parle de couleurs végétales, c’est souvent à elle que l’on pense en premier. Célèbre pour son rouge, en particulier le rouge d’Andrinople, dont les Turcs ont eu le secret durant le Moyen-Âge. Ce sont les racines qui teignent en rouge.

Seulement, la garance se mérite. J’ai d’abord obtenu divers tons de rouge plus ou moins brique, plus ou moins soutenus en fonction de la température et concentration du bain, mais rien qui ne s’apparente de près ou de loin à du rouge :

Le challenge pour moi, a été d’obtenir du vrai rouge, vermillon, sans un poil de brun dedans. J’ai donc lu, testé, relu, retesté…

  • La garance ne donne un vrai rouge que si le bain de teinture n’est pas chauffé à plus de 60°C.
  • La garance ne donne un vrai rouge qu’en milieu calcaire.
  • La garance ne donne un vrai rouge que si l’on a pris soin d’ôter les colorants bruns indésirables des racines.
  • Il est conseillé de laisser les racines dans le bain de teinture pour obtenir du rouge.
  • Même s’il est possible de teindre sans mordancer la fibre, le vrai rouge n’est obtenu généralement qu’avec un mordançage.

Munie de tous ces renseignements, j’ai donc expérimenté.

  • Température de 60°C : les racines de la garance contiennent 19 principes colorants. Les colorants bruns se solubilisent à plus de 60°C. C’est pourquoi il ne faut pas faire trop chauffer son bain de teinture si l’on souhaite du rouge.
  • Le calcaire : évidemment, j’ai une eau très acide. Pour la rendre calcaire, j’ai pensé au plâtre, mais le résultat est médiocre. La craie n’a pas spécialement donné de bon résultats non plus. La chaux m’a donné d’excellents résultats mais fait feutrer ma laine ! Le tour de main fut de la doser subtilement.
  • Au bout de plusieurs essais, plus ou moins feutrés, j’ai pu m’approcher du rouge garance, mais il restait terne. J’ai donc ôté les colorants bruns qui ternissaient mon rouge, en mettant de l’eau bouillante sur mes racines réduites en poudre, attendu 30 secondes, filtré cette eau, recommencé encore une fois. Puis fait mon bain de teinture, avec la chaux et sans trop chauffer.

Et voilà !

Des couleurs plus inhabituelles pour la garance. Cette petite plante est incroyable ! Depuis la gauche, en haut, dans le sens des aiguilles d’une montre :

  • du rouge vermillon obtenu d’après tout ce que j’avais lu.
  • du rose, sur laine non-mordancée avec un post-bain alcalin
  • de l’aubergine, sur laine mordancée au sulfate de fer, et post-bain alcalin (c’est une couleur traditionnelle du moyen-orient)
  • un brun-roux, sur laine mordancée. J’ai fait bouillir mes racines de garance avec de l’acide oxalique.
  • du mandarine, sur laine non mordancée.

Il me reste à obtenir des bruns chauds, maintenant, et aussi, du rouge carmin, avec la garance. Je n’ai pas fini d’expérimenter…

Indigotier et pastel : teinture à la cuve

Du bleu, du bleu, du bleu, le pastel et l’indigotier sont les incontournables des teintures végétales, pour le bleu solide qu’ils procurent.:king_tb:

Ce sont deux plantes contenant de l’indigotine, un pigment bleu. Le Pastel, Isatis tinctoria, pousse dans toute l’Europe, tandis que l’on ignore l’origine de l’indigotier, indigofera tinctoria, plante des régions chaudes, parce que sa culture est trop ancienne (plus de 4000 ans !).

Je me suis d’abord entraînée à teindre avec l’indigo, avant d’oser essayer le précieux pastel.

Différence de tonalités entre indigo (en haut) et pastel (en bas). De gauche à droite : laine, mohair et soie.

Différentes fibres teintes avec de l’indigo : de gauche à droite coton, bambou et laine en bas. Puis mohair et alpaga au centre. Et enfin soie maubère, soie tussah et lin en haut.

Différentes fibres teintes avec du pastel : à l’extrême gauche, coton. Puis en haut, de gauche à droite : angora, alpaga, ramie (à l’extrême droite). En-dessous de gauche à droite : laine, mohair, soie maubère et protéine de lait (presque blanche, dernier bain de teinture quasimment épuisé).

La méthode de teinture avec l’indigo et le pastel, diffère de celle habituellement utilisée avec les autres teintures végétales. Ce sont des « colorants de cuve », et il n’est pas nécessaire de  mordancer la fibre. L’indigo (c’est à dire le pigment bleu, contenu dans l’indigotier et le pastel), sous sa forme en poudre, n’est pas soluble dans l’eau et ne peut donc imprégner les fibres.
La « cuve » consiste à « réduire » (à rendre soluble) l’indigo dans l’eau, en milieu anaérobie (sans air) et basique. Une fois réduit, l’indigo devient jaunâtre. On parle de  « cuve » parce qu’autrefois, on faisait cette opération dans une cuve en bois ou en émail, et non dans un chaudron en métal. Il n’y a pas besoin de chauffer à plus de 50°C la cuve de teinture. Une fois les fibres imprégnées de la solution d’indigo réduite, l’air en oxydant à nouveau l’indigo, révélera sa couleur bleue.

La procédure de teinture, sans être complexe, nécessite toute de même des précautions car elle fait intervenir des produits agressifs, l’hydrosulfite qui est un « réducteur », et la potasse, une « base ». Il est important de travailler avec des gants et des lunettes de protection, dans une pièce bien aérée.
Cependant, c’est si gratifiant de voir l’indigo, comme par « magie », s’oxyder à l’air et reprendre sa magnifique couleur bleue, que ces mises en garde ne doivent pas vous arrêter pour vous lancer à votre tour dans l’aventure.

Voici en images, la recette de la teinture à la cuve, ici avec du pastel, mais c’est rigoureusement la même chose avec l’indigo, qu’il soit naturel ou de synthèse. Cette méthode est un mix entre plusieurs que j’ai pu trouver dans des livres et sur internet, elle s’appuie essentiellement sur la méthode décrite par Dominique Cardon dans son ouvrage « le monde des teintures naturelles ».

Pour teindre environ 600 à 700 grammes de fibres, vous aurez besoin de :

  • 2 pots en verre avec leur couvercle
  • 1 grand récipient de 5 à 10 litres en émail ou inox
  • 10 grammes d’indigo ou de pastel
  • 10 grammes d’hydrosulfite
  • 20 grammes de carbonate de potassium, ou carbonate de soude
  • un peu d’alcool (à brûler par exemple) pour diluer la poudre
  • de l’eau chauffée à 50°C
  • sans oublier de vous protéger avec des gants et des lunettes, et de travailler dans un local aéré.

Recette :

Dans le premier bocal destiné à la « cuve-mère », diluez 10 grammes de pastel avec un peu d’alcool à brûler. Le mélange doit être bien homogène.
Dans le deuxième bocal rempli d’eau à 50°C (l’eau devra pouvoir remplir le premier bocal, n’en mettez donc pas trop), diluez 20 grammes de carbonate de potasse (versez TOUJOURS le carbonate de potasse dans l’eau, jamais l’inverse) et 10 gramme d’hydrosulfite. Mélangez puis fermez ce bocal et attendez 10 mn le temps que l’hydrosulfite supprime l’air contenu dans l’eau.

Versez ensuite le bocal contenant l’eau additionnée de potasse et d’hydrosulfite, dans le bocal de la « cuve-mère ». Fermez et laissez « agir » la préparation en la maintenant à 50°C. Le pastel va amorcer sa solubilisation dans l’eau…

Pendant ce temps-là, profitez-en pour faire tremper vos fibres, écheveau, tissu… dans de l’eau chaude additionnée de liquide vaisselle, lessive…

Préparez également votre bain de teinture. Remplir le grand récipient d’eau, ajoutez-y un peu d’hydrosulfite, et amenez l’eau à 50°C. Attendre 10 mn que celui-ci ait supprimé l’oxygène. Maintenez la température.

Au bout d’environ 30 mn, le pastel est réduit. Le liquide est devenu jaune-verdâtre, une pellicule s’est formée sur le dessus, et une odeur bien particulière s’en dégage.

Versez doucement tout ou partie de la « cuve-mère » dans le bain de teinture en évitant de faire des bulles. Le liquide doit être jaunâtre et translucide, signe que le pastel (ou l’indigo) est sous sa forme réduite, et donc soluble.

Et c’est là qu’on commence vraiment à s’éclater. Trempez délicatement les fibres humides dans ce bain de teinture en évitant de faire des bulles. Laissez-les patauger et s’imbiber de pastel pendant 5 à 10 mn.

Retirez-les du bain de teinture délicatement, essorez.

Immédiatement, sous l’action de l’air, la couleur passe du jaune au bleu.

Laissez égoutter et admirez la couleur qui vire. Puis rincez dans de l’eau additionnée de vinaigre pour neutraliser l’alcalinité.

Vous pouvez utiliser votre bain plusieurs fois, jusqu’à ce qu’il soit épuisé et qu’il ne teigne pratiquement plus. Entre chaque fournée, je saupoudre la surface de l’eau d’un peu d’hydrosulfite, pour m’assurer d’avoir toujours un milieu exempt d’air.

C’est comme cela qu’avec 10 grammes de la précieuse poudre de pastel, je me retrouve à la tête d’à peu près 600 gr de fibres teintes dans un bleu divin : mérinos, mohair, soie, coton, alpaga, ramie, angora et même protéines de lait.

C’est un choix délibéré pour moi de teindre en toison. Mais vous pouvez parfaitement teindre de la laine déjà filée, et même du tissu (écharpe en soie, tissu de coton, lin, laine…)

On teint en Europe avec le pastel depuis le néolithique, en Egypte depuis les pharaons. L’indigo, synthétisé en 1878, donne sa couleur aux jeans. Avant l’invention de l’hydrosulfite en 1871, on faisait des cuves d’indigo ou de pastel par fermentation, le processus durait plusieurs jours.

Pendant ce temps-là, profitez-en pour faire tremper vos fibres, écheveau, tissu… dans de l’eau chaude additionnée de liquide vaisselle, lessive…

Préparez également votre « cuve » de teinture. Remplir le grand récipient d’eau, ajoutez-y un peu d’hydrosulfite, et amenez l’eau à 50°C.