Le chanvre, partie 2

Cet article fait suite à ce que j’avais rédigé à propos des usages du chanvre, afin d’y apporter d’autres éléments.
Rassurez-vous (ou pas après tout peu importe) je ne vais pas faire l’apologie du chanvre sous son aspect psychotrope et récréatif, de toute façon c’est interdit et de plus je n’ai jamais fumé et je n’ai pas envie de commencer un jour. De plus, ce n’est pas cet aspect-là qui m’intéresse.

En parlant de fumer, pourquoi est-ce que le tabac, lui, est autorisé ? Il tue environ 73000 personnes par an en France, mais avec 14 milliards d’euros de recette fiscale, il finance à lui seul la moitié du budget de la Défense Nationale. Pourtant, ce n’est plus un secret pour personne que l’industrie du tabac ajoute des produits chimiques dans les cigarettes pour augmenter les effets de dépendance vis à vis de la nicotine.
Cependant, il n’est pas interdit de cultiver son propre tabac pour sa consommation personnelle. En plus des variétés à fumer, il existe des tabacs enthéogènes utilisés traditionnellement par les chamans d’Amérique Latine. Autrement dit, vous avez le droit de cultiver chez vous du tabac hallucinogène et de le fumer.

Alors, pourquoi le cannabis est-il toujours interdit ? Si c’était pour nous protéger des risques de dépendance qu’il serait censé occasionner, alors on interdirait aussi les anxiolytiques psychotropes comme les benzodiazepines, pourtant largement prescrits et consommés, un scandale dont on parle trop peu….

Les partisans de son interdictions arguent que le cannabis mène aux drogues plus dures comme l’héroïne (un dérivé de l’opium). Dans ce cas, pourquoi la codéine (dérivée aussi de l’opium) est  autorisée à la vente, et disponible sans ordonnance du médecin ? Ceux qui ont envie d’en décupler les effet à titre récréatif savent très bien comment faire, en toute légalité…

Un autre alcaloïde tout à fait légal et tellement banal qu’on ne sait même plus que c’est un psychotrope : le café. La caféine peut engendrer des dépendances avec possibilité d’intoxication. On considère qu’à partir de 600 mg de caféine par jour, ce qui correspond environ à 6 tasses de café, il y a possibilité d’intoxication avec pour conséquences des hallucinations, délires, erreurs de jugement, dépression, psychose…

Alors le cannabis, rend-il dépendant ou pas ? Selon certains sites, 10% des consommateurs deviendraient dépendant, mais selon certains chercheurs c’est le tabac (et surtout les additifs) fumé en même temps qui crée la dépendance. Le cannabis n’engendre pas à lui seul de dépendance.

Je sais que j’entre dans un sujet très sensible si ce n’est tabou pour certains. Mais je pointe du doigts les incohérences d’un système bancal où certains psychotropes avec des effets secondaires notoires sont autorisés, largement prescrits, communément utilisés sans réellement savoir ce qu’il en est ; alors que d’autres sont carrément interdits avec de fortes sanctions à la clé et débauche de moyens pour faire respecter une interdiction qui ne semble pas légitime pour tous. Pourquoi ne pas tout interdire, ou alors tout autoriser avec contrôle strict, prévention et information ? On peut se demander à qui cette interdiction pure et simple profite…

Pourquoi est-ce qu’à titre privé je n’ai pas le droit de cultiver du chanvre industriel, donc non psychotrope, dans mon jardin ? J’ai le droit de cultiver de la mandragore, de la jusquiame, de la belladone… trois plantes hallucinogènes qui contiennent des alcaloïdes très toxiques à faible dose. Le datura orne bien des pare-terre de villes alors que ses effets hallucinogènes sont autrement plus dévastateurs que ceux du cannabis, avec des séquelles qui peuvent durer plusieurs semaines. Mais le chanvre, cette plante qui accompagne l’homme depuis 10000 ans, qui l’a longtemps nourrit, habillé, chauffé… est aussi tabou qu’interdit. Saviez-vous que l’huile de chanvre a été le premier combustible, avant le diesel ?

Pourtant, sur le plan nutritionnel d’abord, les graines de chanvre sont excellentes pour les hommes et les animaux, car riches en protéines, vitamines, minéraux. Le chènevis serait même supérieur au soja car plus digeste, ce qui est intéressant pour les végétariens. Et puis, il a l’énorme avantage de pousser sous nos climats, et il est plus frugal que le soja en matière de culture.

L’huile de graine de chanvre est aussi bonne en cuisine qu’en cosmétique. Sur le plan cosmétique, ses effets sont remarquables, là c’est de mon expérience dont je parle, sa réputation n’est pas surfaite ! En quelques mois d’applications quotidiennes sur mon visage, la différence est nette. Moi qui ait la peau fine, sèche et claire, j’étais sujette aux rougeurs : c’est de l’histoire ancienne. Ma peau est devenue claire, lisse, uniforme, comme si j’avais du fond de teint en permanence, avec un excellent effet hydratant. Je ne suis pas prête de changer d’huile dans mes cosmétiques pour le visage.

Et enfin, le meilleur pour la fin, les vertus thérapeutiques du chanvre, peut-être à l’origine de son bannissement de nos sociétés occidentales ? Il existe une centaine de cannabinoïdes dans le plant de chanvre. Il s’agit de substances chimiques qui activent les récepteurs cannabinoïdes présents dans le corps humain et chez les mammifères. Le plus connu de ces cannabinoïdes est bien sûr le TCH ou tetrahydrocannabinol. Son plus grand malheur est d’être psychoactif, mais c’est également un anti-inflammatoire et anti-métastasique avéré. Le deuxième cannabinoïde connu est le CBD ou cannabidiol. Il est sédatif et possède d’autres intéressantes propriété, en particulier il soulage les inflammations, l’anxiété, et il inhibe la croissance des cellules cancéreuses, surtout en présence de THC dont il modère les effets psychotropes. En résumé, un plant de chanvre comportant 5% de CBD et 5% de THC ne vous fera pas planer, mais ce sera un excellent anti-dépresseur et un sédatif naturel.

Comme le cannabis est totalement interdit, il est pratiquement impossible de faire des recherches sur ses possibles nombreuses propriétés dont l’aspect anti-métastasique et anti-cancereux. Nous avons peut-être à porté de main un formidable remède contre le cancer et la dépression, l’ennui c’est sûrement qu’il pousse trop facilement…
Cela tombe sous le sens mais je le précise tout de même, ce n’est pas en fumant du chanvre qu’on peut bénéficier de ses propriétés médicales.

D’autres plantes aux propriétés sédatives et antidépressives naturelles sont interdites en France : le kava-kava et le millepertuis (attention, ce dernier est photosensibilisant même si vous l’absorbez).

Alors, à qui tout cela profite ? Ni à vous, ni à moi, assurément….

Si l’histoire du chanvre vous interpelle, vous intrigue, voici un excellent ouvrage de Jack Herer qui a milité une partie de sa vie pour la réhabilitation du chanvre (pour tous ses usages, pas que récréatif) aux USA. Il a été réedité en français en 2014, non sans quelques péripéties.

Le chanvre, une plante compagne

Culture de chanvre

Culture de chanvre

Voici un article sur une plante qui me tient à cœur. Lorsque l’on travaille les fibres, on pense souvent à la laine (de mouton), ou au coton. Plus rarement au lin, et encore moins au chanvre !

Il faut dire que le chanvre a mauvaise réputation, à cause de sa teneur en THC (Tétrahydrocannabinol). Généralement, c’est pour cette molécule qu’on le connait sous le nom de « cannabis », et sa réputation de drogue est tenace.

Pourtant, le chanvre est l’une des premières plantes domestiquées par l’homme dès le néolithique il y a 10000 ans. Je ne vais pas parler ici de l’aspect psychotrope, les informations ne manquent pas sur la toile… Il faut savoir que le cannabis cultivé pour la drogue contient entre 10 et 20 % de THC, tandis que le chanvre « industriel » (ou textile) en contient moins de 0,2 %. C’est de celui-ci que je vais parler.

La graine du chanvre, le chènevis, est comestible. De plus on en tire excellente une huile d’un beau vert, et riche en oméga 3. Elle est excellente en vinaigrette, avec un léger goût de noisette. Le chènevis et le tourteau (résidu du pressage de l’huile) sont utilisés dans l’alimentation animale.

Litière de chanvre

Litière de chanvre

La chènevotte (partie centrale et moelleuse de la tige) sert à fabriquer des litières animales, je l’utilise pour mes poules, et j’en suis très satisfaite. Contrairement aux copeaux de bois, elle ne vole pas, et je peux la composter ensuite sans risquer d’acidifier le sol de mon jardin. Elle est très absorbante, désodorise bien, et les poules semblent apprécier cette litière au sol.

Avec la périphérie de la tige, on obtient des fibres, pour la fabrication du papier, des cordes pour la marine (le chanvre est imputrescible, de plus, mouillé il offre toujours une très bonne résistance à la traction). On obtient aussi un très beau fil, qui ressemble au lin, et qui sert dans l’habillement, l’industrie textile et les voiles des bateaux. La toile Denim était à l’origine faite de chanvre, et teinte à l’indigo.

cordes de chanvre

cordes de chanvre

Le chanvre semble également très intéressant dans le domaine de l’isolation et la construction (béton de chanvre), possible que je testerai un jour.

La cerise sur le gâteau c’est que le chanvre ne nécessite pas de pesticides ni d’herbicides pour pousser, de plus sa racine pivot qui va chercher l’eau en profondeur le rend peu sensible à la sècheresse. Un hectare de chanvre produit davantage de fibres qu’un hectare de coton, et contrairement au coton qui a besoin d’énormément de pesticides, sa culture respecte l’environnement.

Chènevis (graines de chanvre)

Chènevis (graines de chanvre)

Alors, pourquoi, avec tous ces atouts, la culture du chanvre industriel n’est pas plus répandue ?

Après avoir connu son apogée au XVIIème et XVIIIème siècle en particulier dans la fabrication de cordes et voiles pour la marine, il a été concurrencé au XIXème siècle par l’arrivée des machines à vapeur. Le coton l’a supplanté sur le marché textile, avec l’invention de l’égreneuse.

C’est aux USA entre les deux guerres que tout a définitivement changé pour le chanvre, lorsqu’il a commencé à devenir un sérieux concurrent aux nouvelles technologies de l’époque dans l’industrie papetière et chimique (textile). Il était désormais possible de fabriquer du papier de qualité à partir de résineux, à l’aide de procédés chimiques d’extraction de la lignine et de blanchiment. Et les premières fibres synthétiques ont été inventées à partir de 1920.

Utilisation de deux ensouples pour réaliser le chemin de table

Tissage du chanvre

A force de lobbying de la part de Dupont de Nemours et de certains magnats de la presse, la Marihuana Tax Act est édictée en 1937, qui vise à taxer tout la filière chanvre de façon à ce que sa culture ne soit plus rentable. En 1938 Dupont de Nemours brevète le nylon.

A partir de 1945, sous l’influence des USA au travers de l’ONU, le chanvre est banni de l’agriculture un peu partout dans le monde. Seuls l’URSS et la France résisteront à la propagande et continueront de le cultiver.

huile de chanvre chez K.na

huile de chanvre chez K.na

En 1992 la culture du chanvre industriel redevient légale dans la plupart des pays d’Europe. En 1997 elle est autorisée au Canada et Australie. Aujourd’hui, elle est toujours interdite aux USA.

La France est le premier producteur Européen de chanvre et il existe de nombreuses chanvrières, la plus importante se situe non loin d’ici dans l’Aube. Malheureusement, sur le plan textile, il est encore très difficile de se fournir en chanvre en Europe. Une unité de défibrage était en projet pour 2012 en Moselle, mais je n’ai pas trouvé d’autres informations.

Si vous souhaitez découvrir l’huile de chanvre et le chènevis, je vous recommande ce site. J’ai croisé ce producteur au hasard d’un salon du goût cette année, au milieu du vin et de la charcuterie. Depuis le temps que je souhaitais goûter l’huile de chanvre, j’ai profité de l’occasion et discuté avec lui des nombreuses applications du chanvre. Nous avons aussi évoqué la réputation de drogue qui rend la vente de produits de chanvre difficile.

Chemin de table en chanvre et coton mercerisé. Détail

Chemin de table en chanvre et coton mercerisé.

Sur le plan textile, le fil de chanvre ressemble fortement au fil de lin, et possède les mêmes caractéristiques : il n’est pas élastique, est un peu raide et s’assouplit au fil des lavages. De couleur grège, il peut être aussi blanchi. Il se tisse de la même manière que le lin, on trouve, mais encore rarement, des vêtements en chanvre. J’ai eu des difficultés à trouver du fil de chanvre cultivé et filé en Europe (mais il y en a ici du fin et là du plus épais), la majorité vient de Chine. Ce qui est dommage car le chanvre est devenu, au fil des millénaires, endémique à l’Europe du nord, tout comme le lin. Quel plaisir en tout cas cela a été pour moi de tisser du beau fil de chanvre. C’est une plante qui mérite vraiment de retrouver une place parmi nos fibres textiles. Écologique, biologique, au rendement plus important que le coton ou le bois, tout en ne nécessitant pratiquement aucun traitement phytosanitaire ni arrosage, il est regrettable qu’il soit encore aujourd’hui le grand oublié.

J’ai publié un deuxième article sur le chanvre, consultable ici.

Sources :

  • Wikipédia : Le chanvre, l’histoire du chanvre
  • Bibliographie : « Le chanvre industriel : Production et utilisations » , Editions France Agricole
  • Revue : Bulletin de l’association des botanistes Lorrains N°7-2011 « les plantes compagnes »