Mon été aura été placé sous le signe de la couleur et des casseroles.
Mon petit vélo spécialement équipé, m’a permis de faire rapidement les nombreux trajets entre l’atelier teinture, et la maison, séparés d’environ 200 m. Je ne me serais pas lancée dans les teintures végétales si je n’avais pas eu une pièce dédiée. La teinture végétale est salissante, encombrante, et l’on est amené à manier des substances, y-compris végétales, incompatibles avec l’alimentation.
Je « voyage » accompagnée de mes ouvrages de référence (ici, « Le Monde des teintures naturelles » de Dominique Cardon, mon premier livre), dont le nombre grandit au fil des semaines.
Lorsque je teins, je ne cherche pas à obtenir une couleur particulière avec un végétal (ou animal, comme la cochenille), mais j’explore plutôt le potentiel tinctorial que pourra me procurer telle matière première.
J’ai ainsi exploré en partie la cochenille, je dis en partie parce qu’il me reste encore à obtenir des violets plus soutenus, et des orangés, peut-être encore d’autres nuances dont j’ignore encore l’existence aujourd’hui.
Toutes les couleurs ci-dessus ont été faites uniquement avec de la cochenille, Dactylopius coccus. C’est un insecte parasite des cactus.
La teinture à la cochenille est sensible au pH (potentiel hydrogène, c’est à dire l’acidité ou la basicité d’une solution acqueuse) du bain de teinture.
En fonction du pH, les couleurs obtenues diffèrent. Bain acide : couleurs rouge cramoisi à oranges. Bain basique : couleurs carmin à violettes. Le mordant utilisé, les sels métalliques comme l’alun, le sulfate de fer, de cuivre, les tanins ou l’acide oxalique, influe aussi sur la couleur, de même que l’absence de mordant, car certaines teintures n’ont pas besoin de mordant pour teindre la fibre.
Ci-dessus, de la cochenille sur écheveaux de pure laine. De droite à gauche : laine non-mordancée (rouge foncé), laine mordancée avec 10% d’alun et 6% de crème de tartre (cramoisi, pH plutôt acide), laine non-mordancée en pH légèrement basique (violet), laine non-mordancée avec post-bain au sulfate de cuivre (parme), et enfin deuxième bain de teinture sur laine mordancée (rose clair).
A la fin de l’été, j’ai mis de côté tout le mohair que j’avais teint, pour l’exposer lors de la fête de la tonte chez Marylène.
La gamme chromatique n’est cependant pas complète, je l’agrandirait au fil du temps.
J’ai aussi beaucoup travaillé avec la garance. C’est une petite plante insignifiante, rampante, vivace. Quand on parle de couleurs végétales, c’est souvent à elle que l’on pense en premier. Célèbre pour son rouge, en particulier le rouge d’Andrinople, dont les Turcs ont eu le secret durant le Moyen-Âge. Ce sont les racines qui teignent en rouge.
Seulement, la garance se mérite. J’ai d’abord obtenu divers tons de rouge plus ou moins brique, plus ou moins soutenus en fonction de la température et concentration du bain, mais rien qui ne s’apparente de près ou de loin à du rouge :
Le challenge pour moi, a été d’obtenir du vrai rouge, vermillon, sans un poil de brun dedans. J’ai donc lu, testé, relu, retesté…
- La garance ne donne un vrai rouge que si le bain de teinture n’est pas chauffé à plus de 60°C.
- La garance ne donne un vrai rouge qu’en milieu calcaire.
- La garance ne donne un vrai rouge que si l’on a pris soin d’ôter les colorants bruns indésirables des racines.
- Il est conseillé de laisser les racines dans le bain de teinture pour obtenir du rouge.
- Même s’il est possible de teindre sans mordancer la fibre, le vrai rouge n’est obtenu généralement qu’avec un mordançage.
Munie de tous ces renseignements, j’ai donc expérimenté.
- Température de 60°C : les racines de la garance contiennent 19 principes colorants. Les colorants bruns se solubilisent à plus de 60°C. C’est pourquoi il ne faut pas faire trop chauffer son bain de teinture si l’on souhaite du rouge.
- Le calcaire : évidemment, j’ai une eau très acide. Pour la rendre calcaire, j’ai pensé au plâtre, mais le résultat est médiocre. La craie n’a pas spécialement donné de bon résultats non plus. La chaux m’a donné d’excellents résultats mais fait feutrer ma laine ! Le tour de main fut de la doser subtilement.
- Au bout de plusieurs essais, plus ou moins feutrés, j’ai pu m’approcher du rouge garance, mais il restait terne. J’ai donc ôté les colorants bruns qui ternissaient mon rouge, en mettant de l’eau bouillante sur mes racines réduites en poudre, attendu 30 secondes, filtré cette eau, recommencé encore une fois. Puis fait mon bain de teinture, avec la chaux et sans trop chauffer.
Et voilà !
Des couleurs plus inhabituelles pour la garance. Cette petite plante est incroyable ! Depuis la gauche, en haut, dans le sens des aiguilles d’une montre :
- du rouge vermillon obtenu d’après tout ce que j’avais lu.
- du rose, sur laine non-mordancée avec un post-bain alcalin
- de l’aubergine, sur laine mordancée au sulfate de fer, et post-bain alcalin (c’est une couleur traditionnelle du moyen-orient)
- un brun-roux, sur laine mordancée. J’ai fait bouillir mes racines de garance avec de l’acide oxalique.
- du mandarine, sur laine non mordancée.
Il me reste à obtenir des bruns chauds, maintenant, et aussi, du rouge carmin, avec la garance. Je n’ai pas fini d’expérimenter…