Réflexions sur le blé et la panification

L’envie de moudre notre farine est arrivée lorsque nous avons acheté pour nos poules 300 kgs de blé de consommation bio l’année dernière. Habituellement nous prenons du triticale bio, mais il n’y a pas eu de récolte en 2013, à cause du temps exécrable au printemps. En revanche, le blé a bien donné et est superbe. C’est d’ailleurs à voir cette beauté des grains de blé qui nous a donné envie de nous lancer dans la farine…

Cela m’a amené à faire des recherches sur le blé. J’ai pris conscience qu’en fait, le blé était une céréale tellement banale que je connaissais peu de choses à son sujet. J’ai ainsi appris qu’il y avait deux sortes de blé : le blé dur (issu de l’amidonnier) et le blé tendre (le froment, issu de l’engrain). Le blé dur, plutôt méditerranéen, est riche en gluten et permet d’obtenir la semoule, le boulgour, les pâtes ; il est trop dur pour être moulu en farine. Le blé tendre est celui avec lequel on fait la farine. J’ai également appris qu’il existait une très grande variété de blés (j’aurais dû m’en douter), que l’épeautre est une sous-espèce du froment.

Puis je me suis posée la question de la panification du blé. Je savais que le taux de gluten, nécessaire à une bonne panification, est variable dans le blé. Qu’en France, il fût un temps où notre blé était considéré comme étant de qualité « médiocre » car non panifiable. Qu’on importait notre « blé de force » des pays voisins comme la Suisse par exemple.

De plus en plus de personnes ne digèrent pas ou très mal le gluten, or le blé en contient toujours davantage. Pourquoi ? Quel est le taux moyen de gluten contenu dans le blé, dans le blé de force, et à partir de quel taux on considère que la farine est « panifiable », c’est à dire, apte à faire du pain, apte à lever ?

Et bien je ne pensais pas soulever un tel lièvre !

Le blé a été domestiqué par l’homme il y a 12000 ans au Proche-Orient. C’est, avec le riz, la céréale la plus consommée dans le monde. Depuis les années 50, on a commencé à sélectionner les variétés de blé afin qu’elles soient le plus riche en gluten possible, et les plus productives. Les nitrates étant apparus dans ces périodes-là, on les a utilisés massivement parce qu’ils augmentaient considérablement les rendements (et aussi le taux de gluten). Une plante poussée à l’engrais a tendance à faire des tiges plus longues ; on a donc raccourci les tiges du blé à l’aide de régulateurs de croissance (produits phytosanitaires). Ce qui a fait la part belle aux champignons puisque la plante étant plus trapue, elle est plus près du sol. On a donc eu recours aux fongicides. L’excès d’engrais fragilise également la plante contre les prédateurs tels que les pucerons. On a utilisé des pesticides. En quelques décennies, le rendement est passé de 15-30 quintaux à l’hectare à 120 aujourd’hui, avec un taux de gluten moyen de 11,5 % (contre 7 % pour les variétés anciennes).

L’industrialisation de la boulangerie a conduit à une demande en gluten du blé toujours plus importante, parce que la pâte étant fortement sollicitée dans les pétrins mécaniques et la chaîne de production, doit être toujours plus résistante. Or c’est la quantité de gluten contenu dans la farine qui rend la pâte très élastique. On a donc adapté le blé à l’industrie de la boulangerie.

Un autre avantage du gluten est que la pâte lève plus vite, c’est un gain de temps non négligeable pour les boulangers, mais il se fait au détriment de la qualité gustative ; sans compter tous les améliorants qu’on peut rajouter pour donner plus de goût, plus de couleur, que la pâte lève mieux, etc… Je me suis rendue compte que le pain n’était pas juste constitué de levure, farine et eau… Est-ce que je connais le goût du vrai pain ?

Tous ces traitements du blé, cette sélection, y-compris en effectuant des croisements avec d’autres céréales (le blé bio n’échappant pas à la règle), ont rendu les chaînes de gluten plus complexes, il est moins digeste pour nous, entraînant de plus en plus de cas d’allergie et de maladie céliaque dans les cas les plus graves. Nous consommons toujours davantage de ce gluten indigeste, l’industrie ayant tendance à en ajouter de plus en plus, y-compris dans les plats cuisinés.
Le blé actuel cultivé en agriculture biologique est lui aussi issu de variétés modernes.

En revanche le gluten contenu dans les variétés anciennes de blé serait beaucoup plus digeste car sa chaîne est plus courte, il est également présent en plus petites quantités (7%). Plus important encore, les variétés anciennes de blé, même avec un taux de gluten bas, sont  tout à fait panifiables, dans un contexte qui n’est pas industriel.
Il n’a pas besoin d’être autant pétrit que le blé moderne, peut-être aussi qu’il se panifie mieux au levain qu’à la levure de bière, mais il se panifie.

Et puis, ces variétés de blé anciennes étaient adaptées à leur terroir, même si le rendement est plus faible, le blé est rustique et ne nécessite pas (ou peu) d’intrants, permettant une agriculture biologique. Haut sur tige, il possède une diversité génétique étonnante, les épis peuvent être jaunes, gris, bleutés, rouges… barbus, non barbus. Il est aussi utile que décoratif.

Mais alors, pourquoi est-ce qu’on ne trouve pas davantage de farines ou de pains issus de blés de variétés anciennes, puisque ces blés possèdent tant d’avantages et pourraient être la réponse pour les allergiques au gluten ?
Parce que les grands semenciers ont fait du lobbying, et qu’il est aujourd’hui interdit de vendre, d’échanger et même de donner, des graines de blé de variétés anciennes (cf. site Réseau Semences Paysannes).

Ce constat m’a abasourdie. Le blé nous accompagne depuis plus de 10000 ans, c’est notre patrimoine à tous, occidentaux, et il ne nous appartient plus ! Au lieu de cela, nous sommes obligés de consommer un avatar de blé à faible valeur nutritive et gustative, tellement médiocre qu’il nous rend malades !

Je suis maintenant en recherche de farine de blé ancien (ou même de blé), mais je crains bien que ça ne soit la quête du graal, même si de plus en plus de paysans-boulangers se lancent dans l’aventure, ce qui est réconfortant.

Pour aller plus loin :

Culture et panification de variétés de blé anciennes

Variétés de blé anciennes en images

Une recette… pour les poules !

Contrairement aux idées reçues, les poules ne sont pas uniquement granivores, et leur donner seulement du blé n’est pas suffisant pour qu’elles vous offrent de délicieux œufs au beau jaune bien intense.

En haut œufs de Meusienne, en bas œuf de Pékin.

En haut œufs de Meusienne (grande race), en bas œuf de Pékin (naine).

Un parcours herbeux est vraiment important pour elles, et puis c’est un spectacle superbe que de les voir gambader dans l’herbe verte (enfin moi je ne m’en lasse pas, surtout que la cuisine donne sur le jardin alors c’est un peu notre télévision à nous 🙂 ). Elles apprécient réellement cette liberté, ce ne sont pas des « tubes » qui ne ressentent rien, et elles n’ont jamais cherché à aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte (en même temps on s’est quand même arrangés pour qu’elles n’aillent pas visiter le jardin des voisins ; mais côté rivière, il n’y a aucune clôture).

La troupe au complet

La troupe au complet

Et les poules sont bien plus intelligentes que ce que j’entends souvent dire, pour peu qu’on prenne la peine de les élever en leur permettant de vivre leur vie de poule (espace, propreté, absence de stress). Elles trouvent au jardin ce qui leur manque dans le blé, les petits cailloux pour broyer les graines dans leur gésier, les petits invertébrés et insectes pour les protéines, les feuilles de choux et de salade (ahem), l’herbe (qu’elles consomment beaucoup) et tout un tas d’autres petites bricoles comme des graines.

L’avantage de les élever en liberté c’est qu’on n’a pas à se soucier de leur ration alimentaire, elles se débrouillent toutes seules. Du blé (ou mieux du triticale) à volonté, de l’eau propre et le jardin (avec des zones ombragées et à l’abri des prédateurs du ciel), suffisent à leur vie de poule.

En revanche, leur donner régulièrement une pâtée maison, au lieu des granulés « pondeuse », est un gros plus à plusieurs points de vue. D’abord, cela permet de recycler les restes des repas, car une poule c’est incroyablement omnivore ! Ensuite, c’est bien pratique pour les faire rentrer au poulailler le soir. Elles rentreraient seules sans cela aussi, mais à la nuit tombée seulement. Je préfère les rentrer dans leur volière sécurisée environ 1 h avant le coucher du soleil, pour limiter les risques de prédation, et ça leur laisse le temps de se remplir le jabot avant d’aller rentrer se percher pour la nuit.

La volière protégée.

La volière protégée.

Dans mes souvenirs d’enfance, je me rappelle des pâtées que ma grand-mère préparait pour ses poules. Un mélange de restes de repas et de « polente » (maïs, à prononcer avec l’accent un peu suisse), qu’elle cuisait il me semble assez longtemps. Le maïs n’est pas l’idéal pour les poules, ça les fait engraisser, c’est un peu notre chocolat à nous. Je ne leur en donne jamais.

Voici donc ma recette de pâtée pour les poules, dans laquelle je recycle tous les restes de repas. Je la distribue le soir juste au moment de les rentrer dans leur parcours, ce n’est donc pas leur nourriture principale. J’en prépare une certaine quantité d’avance, pour être tranquille 2-3 jours.

Ce n’est pas systématique, mais je met souvent des coquilles d’œufs écrasées. Cela leur apporte du calcium nécessaire à la fabrication de la coquille des œufs.

Je commence par mettre des coquilles d'oeuf.

Coquilles d’œufs

Je leur met tous les bouts de viande qu’on ne consomme pas car gras, avec de l’aponévrose (membrane fibreuse), la peau, les abats, têtes de poisson etc… toujours cuit, jamais crû.

Puis des petits bouts de viande que nous ne consommons pas.

Bouts de viande coupés en dés

Elles raffolent également des couennes de fromage…

Eventuellement aussi des couennes de fromage.

Couennes de fromage

Je met du pain sec quand j’en ai, que je trempe dans de l’eau pour l’humidifier. J’ai pris  l’habitude de faire chauffer le tout au micro-onde quelques minutes, comme ça le pain est bien imbibé et la pâtée est tiède. Quand j’ai des restants de graisse de cuisson je les mélange à ce moment-là avec le pain.

Du pain trempé dans l'eau, et réchauffé. J'y met aussi parfois de la graisse quand j'en ai.

Pain trempé

Et enfin en cas de froid il m’arrive de compléter ces restes avec éventuellement du boulgour cuit, ou comme ici un mélange boulgour et riz cuit (un peu ferme, pas en bouillie). C’est une recette pour l’hiver, à ne pas donner toute l’année ni tous les jours car elle est très riche.

J'ajoute riz ou boulgour, ou comme ici les deux. Je mélange tout voilà !

Boulgour et riz.

Je mélange le tout, ça fait un peu « ragougnasse » mais ça ne semble pas déranger les poules. Elles n’aiment pas une pâtée trop liquide (qui colle sur leur bec), ni trop sèche.

Voilà ma recette, je peux vous dire qu’elle est appréciée ! Si j’ai des restants de légumes un peu vieux je les met aussi. Parfois du petit lait, du yaourt ou des fromages qui ont mal vieilli. Vous aurez peut-être noté que je n’ai pas mis de verdure dans la pâtée. C’est parce qu’elles boudent les légumes que je leur met, c’est tellement mieux d’aller manger les feuilles de choux fraiches… 🙄 Ou éventuellement d’aller faire son petit marché directement sur le tas de compost où sont justement les épluchures de légumes 🙂
Bien sûr, si vos poules n’ont pas accès à un parcours herbeux, il vous faudra compenser en ajoutant à la pâtée les épluchures cuites de vos légumes (sauf pommes de terre à cause de la solanine).

Lorsque la lumière commence à baisser, les poules se rapprochent de la maison, et il n’est pas rare qu’elles montent sur le rebord de la fenêtre de la cuisine pour me regarder préparer leur pâtée…

Pendant ce temps-là, de l'autre côté de la fenêtre, il y en a qui n'en perdent pas une miette....

Un coq très intéressé par ce que je fais !

Je sers la pâtée dans des écuelles pour chien, j’en disperse plusieurs au poulailler pour que tout le monde puisse manger à sa faim et sans disputes (les dominants ayant tendance à monopoliser la gamelle s’il n’y en a qu’une).

Servez...

Servez…

Et c’est englouti très vite !

Dégustez !

Dégustez !

Changements d’habitude : l’alimentation

Changer son mode d’approvisionnement en denrées alimentaires est une complète remise en question des habitudes culinaires et d’achat, et dans notre société mercantile où tout est fait pour nous simplifier la vie (enfin, qu’on nous dit), il faut être déterminé pour acheter local. Mais une fois qu’on a pris l’habitude de se fournir en direct, c’est vraiment difficile de remettre les pieds dans un magasin conventionnel.

On trouve de plus en plus d’agriculteurs qui vendent en direct, très souvent ils sont en agriculture biologique et sont soucieux de produire de la qualité. Parfois ils ont un petit magasin où ils vendent les produits des autres agriculteurs du secteur. C’est le cas de la ferme d’un village proche de chez nous. C’est une petite exploitation, par comparaison avec la taille moyenne des exploitations agricoles du secteur. Mais ils s’en sortent mieux que la plupart des autres agriculteurs conventionnels parce qu’ils se sont diversifiés et qu’ils vendent en direct leur production, donc avec une meilleure marge.

Toutes les semaines en saison, nous y allons pour prendre du lait et du fromage de chèvre et vache. On y trouve aussi les autres produits locaux : lentilles et pois, cidre, vin, huile, vinaigre, farine, confiture, bière…

La ferme propose également des colis de viande de bœuf et de porc. Mais pour la viande, il vaut mieux réserver et faire un peu de stock, c’est là que les habitudes par rapport aux grandes surfaces changent, l’approvisionnement n’est pas continu car le débouché est petit (et tant mieux c’est un gage de qualité). Pour le porc, nous en réservons un entier d’une année sur l’autre, et nous le découpons nous-même (autant aller jusqu’au bout des idées, peut-être un jour l’élèverons-nous). Bon pour le bœuf c’est un peu plus compliqué 😉 Il est nécessaire d’avoir un ou plusieurs congélateurs pour procéder ainsi, mais c’est bien agréable de les savoir remplis.

Comme beaucoup, je suis choquée de la manière dont sont élevés les animaux dans le circuit intensif classique. Mais, en réaction, plutôt que de devenir végétarienne, je préfère m’approvisionner auprès de personnes dont je sais qu’ils traitent bien leurs animaux. L’avantage d’acheter à un producteur c’est qu’il est toujours prêt à vous montrer comment il élève ses animaux et avec quoi il les nourrit. S’il est sorti de la filière classique, c’est que lui aussi désapprouve les méthodes dites « conventionnelles », et contrairement aux idées reçues, beaucoup d’agriculteurs aiment leurs animaux.

Une précision concernant les œufs de poule, lorsque vous les achetez en filière classique ils doivent comporter un numéro suivi du pays d’origine (FR pour la Fance) :

0 : Œufs de poules élevées en plein air, alimentation biologique (au moins 2.5m² de terrain extérieur par poule)
1 : Œufs de poules élevées en plein air (au moins 2.5m² de terrain extérieur par poule)
2 : Œufs de poules élevées au sol (Élevage intensif mais sans cage et au maximum 9 poules au m²
3 : Œufs de poules élevées en cage (Élevage en cage, 18 poules au m²)

Si vous êtes soucieux des conditions d’élevage des poules, il faut bien évidemment choisir les œufs de catégorie « 0 ». Attention, les œufs vendus en vrac sur les marchés ne sont pas toujours synonyme de poules élevées en plein air.

Nous nous approvisionnons à la ferme en blé pour nos poules, et là aussi il faut estimer la quantité annuelle dont nous avons besoin, et le stocker (300 kgs cette année). A terme, nous souhaitons moudre toute la farine que nous consommons, mais là il va falloir un moulin et une bluteuse électriques.

Nous trouvons d’autres producteurs sur le marché de la ville la plus proche : fruits, légumes, miel, volaille et poisson frais. Là aussi il faut être organisé, et nous avons investi dans un charriot de commissions. Au début c’était déroutant d’acheter à chaque étal, et puis rapidement les habitudes sont prises, les producteurs nous connaissent, et nous passons autant de temps à choisir les produits qu’à discuter 😉 Ils nous parlent de leur métier et des conditions météo qui font que les carottes sont pleines de terre, que la récolte des mirabelles va être excellente, que les bateaux n’ont pas pu sortir à cause de la tempête. J’aime bien que ce que je consomme soit relié à la réalité.

A terme, nous souhaitons aussi élever des abeilles, avoir suffisamment de fruitiers pour notre consommation, et un jardin plus productif (type permaculture, c’est en route !). Cette année, nous avons décider de faire des poulets de chair. Au moins nous saurons qu’ils ont été bien traités et qu’ils auront reçu une alimentation « normale » (sans granulés).

Il y a également des marchés paysans tout au long de l’année, qui permettent de venir chez le producteur et de voir comment il travaille. Je trouve ça très instructif, une fois de plus cela raccroche à la réalité, et puis les producteurs aiment parler de leur métier et ne sont jamais avares en infos et conseils.

Alors, une fois qu’on a pris l’habitude de consommer ainsi, retourner dans une grande surface ça fait vraiment un choc. L’éclairage blafard des néons, les allées monotones, la quête impossible du produit qu’on cherche et les rayons vides, la queue aux caisses et les caissières malmenées, tout cela est vraiment déshumanisé à tous points de vue.

Au final, on ne passe pas plus de temps à faire la queue à chaque étal du marché que dans une grande surface. Et puis il arrive que l’on discute avec son voisin de queue parce qu’on a tous un point commun sur le marché, le désir d’acheter un produit authentique et gastronomique. Alors, forcément, ça crée des liens 😉