Le levain naturel

Mes questionnements et réflexions à propos des variétés de blé, de la panification, m’ont amenée inévitablement vers le levain… J’étais restée sur les préjugés que le pain au levain est compact et acide. Mais la curiosité a pris le dessus sur mes préjugés et puisque Cher&tendre souhaite faire son pain, autant aller jusqu’au bout là aussi et ne pas dépendre d’un tiers pour la levure de boulangerie (qui est en fait de la levure de bière).

Nous nous sommes donc lancés dans l’aventure de la culture (ou élevage ?) du levain naturel 😉

Levain en train de buller

Levain en train de buller

Le levain naturel est issu d’une fermentation spontanée de farine (complète de préférence) mélangée à de l’eau (on peut aider au démarrage avec un peu de miel). Il ne faut pas le confondre avec le levain fermentescible, qui lui contient en plus un ajout de levure de bière. Attention, l’appellation « pain au levain » en bio, peut contenir de la levure de bière, voir être un « poolish » c’est à dire de la levure de bière fermentée plusieurs heures. C’est un peu mentir au consommateur. D’autant que levure de bière et pain complet font mauvais ménage.

Du pain au levain

Du pain au levain

Les micro-organismes qui composent le levain naturel proviennent de la farine, de l’enveloppe du blé, mais aussi de l’air ambiant. C’est près de 70 espèces de levures et bactéries qui composent sa faune typique, chaque levain est donc différent. Le nôtre sent bon la pomme très mûre, une odeur fruitée vraiment étonnante (démarré à la farine bio intégrale).

Je ne vais pas vous expliquer comment obtenir du levain, car les informations ne manquent pas sur internet. Je  vous conseille la lecture de ce lien très intéressant. Et puis des informations plus précises encore ici.

En revanche, voici mes impressions après quelques semaines d’essais divers.

L’acidité : le levain est essentiellement constitué de levures et de bactéries lactiques. Les levures font lever la pâte, elles aiment une température d’environ 30°C. Tandis que les bactéries transforment les sucres en acide lactique, et parfois en acide acétique. C’est ce dernier qui est responsable du goût acide du pain. Les bactéries aiment mieux des températures un peu plus basses, 22 à 26°C et donc tout l’art d’un bon pain au levain est de trouver le juste milieu pour que le levain se développe bien, tout en satisfaisant les goûts de chacun. Il semble également qu’une pâte qui n’est pas très hydratée devienne davantage acide. Mon Cher&tendre travaille des pâtes très molles, elles sont difficiles à manipuler mais le pain est vraiment meilleur.

Pain au levain avec de la farine maison et locale

Pain au levain avec de la farine maison et locale

Notre premier pain a levé plusieurs heures à température ambiante, entre 20 et 22°C et il était vraiment acide et compact, tout ce que nous n’aimons pas (mais fort heureusement ici rien ne se perd et il a fini dans l’estomac des poules 😉 )
Deuxième essai, levé toute une nuit à environ 28°C et là, la révélation ! Un pain incroyablement doux, moelleux, aéré. Un régal. Bien meilleur qu’un pain à la levure de bière.

Le levain s’accommode aussi très bien de préparations sucrées, telles que les crêpes fermentées (un délice, et digestes en plus) ou la brioche (aux arômes de panettone, qui est précisément une sorte de brioche au levain).
Et même de la pâte à pizza. Finalement, le levain va prendre une place beaucoup plus importante qu’on ne l’avait envisagé dans notre cuisine, puisqu’il est possible de tout faire lever avec (même des croissants, mais il faut être courageux).

Crêpe au levain et à la farine fraîche d'engrain (petit épeautre)

Crêpe au levain et à la farine fraîche d’engrain (petit épeautre)

Un pain au levain est plus digeste, plus nutritif et possède un indice glycémique plus bas qu’un pain à la levure. De plus, le pétrissage est moins important, c’est l’action de la fermentation lente qui développe les glutens, puis ensuite l’étape du pliage. De même, le blé n’a pas besoin d’avoir un fort taux de gluten pour être panifié au levain, à condition de laisser le levain fermenter plusieurs heures (une nuit voir plus).

Nos expérimentations ne sont pas terminées, je crois qu’il y a matière à rédiger un troisième article à propos de pain et de farine 🙂

Réflexions sur le blé et la panification

L’envie de moudre notre farine est arrivée lorsque nous avons acheté pour nos poules 300 kgs de blé de consommation bio l’année dernière. Habituellement nous prenons du triticale bio, mais il n’y a pas eu de récolte en 2013, à cause du temps exécrable au printemps. En revanche, le blé a bien donné et est superbe. C’est d’ailleurs à voir cette beauté des grains de blé qui nous a donné envie de nous lancer dans la farine…

Cela m’a amené à faire des recherches sur le blé. J’ai pris conscience qu’en fait, le blé était une céréale tellement banale que je connaissais peu de choses à son sujet. J’ai ainsi appris qu’il y avait deux sortes de blé : le blé dur (issu de l’amidonnier) et le blé tendre (le froment, issu de l’engrain). Le blé dur, plutôt méditerranéen, est riche en gluten et permet d’obtenir la semoule, le boulgour, les pâtes ; il est trop dur pour être moulu en farine. Le blé tendre est celui avec lequel on fait la farine. J’ai également appris qu’il existait une très grande variété de blés (j’aurais dû m’en douter), que l’épeautre est une sous-espèce du froment.

Puis je me suis posée la question de la panification du blé. Je savais que le taux de gluten, nécessaire à une bonne panification, est variable dans le blé. Qu’en France, il fût un temps où notre blé était considéré comme étant de qualité « médiocre » car non panifiable. Qu’on importait notre « blé de force » des pays voisins comme la Suisse par exemple.

De plus en plus de personnes ne digèrent pas ou très mal le gluten, or le blé en contient toujours davantage. Pourquoi ? Quel est le taux moyen de gluten contenu dans le blé, dans le blé de force, et à partir de quel taux on considère que la farine est « panifiable », c’est à dire, apte à faire du pain, apte à lever ?

Et bien je ne pensais pas soulever un tel lièvre !

Le blé a été domestiqué par l’homme il y a 12000 ans au Proche-Orient. C’est, avec le riz, la céréale la plus consommée dans le monde. Depuis les années 50, on a commencé à sélectionner les variétés de blé afin qu’elles soient le plus riche en gluten possible, et les plus productives. Les nitrates étant apparus dans ces périodes-là, on les a utilisés massivement parce qu’ils augmentaient considérablement les rendements (et aussi le taux de gluten). Une plante poussée à l’engrais a tendance à faire des tiges plus longues ; on a donc raccourci les tiges du blé à l’aide de régulateurs de croissance (produits phytosanitaires). Ce qui a fait la part belle aux champignons puisque la plante étant plus trapue, elle est plus près du sol. On a donc eu recours aux fongicides. L’excès d’engrais fragilise également la plante contre les prédateurs tels que les pucerons. On a utilisé des pesticides. En quelques décennies, le rendement est passé de 15-30 quintaux à l’hectare à 120 aujourd’hui, avec un taux de gluten moyen de 11,5 % (contre 7 % pour les variétés anciennes).

L’industrialisation de la boulangerie a conduit à une demande en gluten du blé toujours plus importante, parce que la pâte étant fortement sollicitée dans les pétrins mécaniques et la chaîne de production, doit être toujours plus résistante. Or c’est la quantité de gluten contenu dans la farine qui rend la pâte très élastique. On a donc adapté le blé à l’industrie de la boulangerie.

Un autre avantage du gluten est que la pâte lève plus vite, c’est un gain de temps non négligeable pour les boulangers, mais il se fait au détriment de la qualité gustative ; sans compter tous les améliorants qu’on peut rajouter pour donner plus de goût, plus de couleur, que la pâte lève mieux, etc… Je me suis rendue compte que le pain n’était pas juste constitué de levure, farine et eau… Est-ce que je connais le goût du vrai pain ?

Tous ces traitements du blé, cette sélection, y-compris en effectuant des croisements avec d’autres céréales (le blé bio n’échappant pas à la règle), ont rendu les chaînes de gluten plus complexes, il est moins digeste pour nous, entraînant de plus en plus de cas d’allergie et de maladie céliaque dans les cas les plus graves. Nous consommons toujours davantage de ce gluten indigeste, l’industrie ayant tendance à en ajouter de plus en plus, y-compris dans les plats cuisinés.
Le blé actuel cultivé en agriculture biologique est lui aussi issu de variétés modernes.

En revanche le gluten contenu dans les variétés anciennes de blé serait beaucoup plus digeste car sa chaîne est plus courte, il est également présent en plus petites quantités (7%). Plus important encore, les variétés anciennes de blé, même avec un taux de gluten bas, sont  tout à fait panifiables, dans un contexte qui n’est pas industriel.
Il n’a pas besoin d’être autant pétrit que le blé moderne, peut-être aussi qu’il se panifie mieux au levain qu’à la levure de bière, mais il se panifie.

Et puis, ces variétés de blé anciennes étaient adaptées à leur terroir, même si le rendement est plus faible, le blé est rustique et ne nécessite pas (ou peu) d’intrants, permettant une agriculture biologique. Haut sur tige, il possède une diversité génétique étonnante, les épis peuvent être jaunes, gris, bleutés, rouges… barbus, non barbus. Il est aussi utile que décoratif.

Mais alors, pourquoi est-ce qu’on ne trouve pas davantage de farines ou de pains issus de blés de variétés anciennes, puisque ces blés possèdent tant d’avantages et pourraient être la réponse pour les allergiques au gluten ?
Parce que les grands semenciers ont fait du lobbying, et qu’il est aujourd’hui interdit de vendre, d’échanger et même de donner, des graines de blé de variétés anciennes (cf. site Réseau Semences Paysannes).

Ce constat m’a abasourdie. Le blé nous accompagne depuis plus de 10000 ans, c’est notre patrimoine à tous, occidentaux, et il ne nous appartient plus ! Au lieu de cela, nous sommes obligés de consommer un avatar de blé à faible valeur nutritive et gustative, tellement médiocre qu’il nous rend malades !

Je suis maintenant en recherche de farine de blé ancien (ou même de blé), mais je crains bien que ça ne soit la quête du graal, même si de plus en plus de paysans-boulangers se lancent dans l’aventure, ce qui est réconfortant.

Pour aller plus loin :

Culture et panification de variétés de blé anciennes

Variétés de blé anciennes en images

Une recette… pour les poules !

Contrairement aux idées reçues, les poules ne sont pas uniquement granivores, et leur donner seulement du blé n’est pas suffisant pour qu’elles vous offrent de délicieux œufs au beau jaune bien intense.

En haut œufs de Meusienne, en bas œuf de Pékin.

En haut œufs de Meusienne (grande race), en bas œuf de Pékin (naine).

Un parcours herbeux est vraiment important pour elles, et puis c’est un spectacle superbe que de les voir gambader dans l’herbe verte (enfin moi je ne m’en lasse pas, surtout que la cuisine donne sur le jardin alors c’est un peu notre télévision à nous 🙂 ). Elles apprécient réellement cette liberté, ce ne sont pas des « tubes » qui ne ressentent rien, et elles n’ont jamais cherché à aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte (en même temps on s’est quand même arrangés pour qu’elles n’aillent pas visiter le jardin des voisins ; mais côté rivière, il n’y a aucune clôture).

La troupe au complet

La troupe au complet

Et les poules sont bien plus intelligentes que ce que j’entends souvent dire, pour peu qu’on prenne la peine de les élever en leur permettant de vivre leur vie de poule (espace, propreté, absence de stress). Elles trouvent au jardin ce qui leur manque dans le blé, les petits cailloux pour broyer les graines dans leur gésier, les petits invertébrés et insectes pour les protéines, les feuilles de choux et de salade (ahem), l’herbe (qu’elles consomment beaucoup) et tout un tas d’autres petites bricoles comme des graines.

L’avantage de les élever en liberté c’est qu’on n’a pas à se soucier de leur ration alimentaire, elles se débrouillent toutes seules. Du blé (ou mieux du triticale) à volonté, de l’eau propre et le jardin (avec des zones ombragées et à l’abri des prédateurs du ciel), suffisent à leur vie de poule.

En revanche, leur donner régulièrement une pâtée maison, au lieu des granulés « pondeuse », est un gros plus à plusieurs points de vue. D’abord, cela permet de recycler les restes des repas, car une poule c’est incroyablement omnivore ! Ensuite, c’est bien pratique pour les faire rentrer au poulailler le soir. Elles rentreraient seules sans cela aussi, mais à la nuit tombée seulement. Je préfère les rentrer dans leur volière sécurisée environ 1 h avant le coucher du soleil, pour limiter les risques de prédation, et ça leur laisse le temps de se remplir le jabot avant d’aller rentrer se percher pour la nuit.

La volière protégée.

La volière protégée.

Dans mes souvenirs d’enfance, je me rappelle des pâtées que ma grand-mère préparait pour ses poules. Un mélange de restes de repas et de « polente » (maïs, à prononcer avec l’accent un peu suisse), qu’elle cuisait il me semble assez longtemps. Le maïs n’est pas l’idéal pour les poules, ça les fait engraisser, c’est un peu notre chocolat à nous. Je ne leur en donne jamais.

Voici donc ma recette de pâtée pour les poules, dans laquelle je recycle tous les restes de repas. Je la distribue le soir juste au moment de les rentrer dans leur parcours, ce n’est donc pas leur nourriture principale. J’en prépare une certaine quantité d’avance, pour être tranquille 2-3 jours.

Ce n’est pas systématique, mais je met souvent des coquilles d’œufs écrasées. Cela leur apporte du calcium nécessaire à la fabrication de la coquille des œufs.

Je commence par mettre des coquilles d'oeuf.

Coquilles d’œufs

Je leur met tous les bouts de viande qu’on ne consomme pas car gras, avec de l’aponévrose (membrane fibreuse), la peau, les abats, têtes de poisson etc… toujours cuit, jamais crû.

Puis des petits bouts de viande que nous ne consommons pas.

Bouts de viande coupés en dés

Elles raffolent également des couennes de fromage…

Eventuellement aussi des couennes de fromage.

Couennes de fromage

Je met du pain sec quand j’en ai, que je trempe dans de l’eau pour l’humidifier. J’ai pris  l’habitude de faire chauffer le tout au micro-onde quelques minutes, comme ça le pain est bien imbibé et la pâtée est tiède. Quand j’ai des restants de graisse de cuisson je les mélange à ce moment-là avec le pain.

Du pain trempé dans l'eau, et réchauffé. J'y met aussi parfois de la graisse quand j'en ai.

Pain trempé

Et enfin en cas de froid il m’arrive de compléter ces restes avec éventuellement du boulgour cuit, ou comme ici un mélange boulgour et riz cuit (un peu ferme, pas en bouillie). C’est une recette pour l’hiver, à ne pas donner toute l’année ni tous les jours car elle est très riche.

J'ajoute riz ou boulgour, ou comme ici les deux. Je mélange tout voilà !

Boulgour et riz.

Je mélange le tout, ça fait un peu « ragougnasse » mais ça ne semble pas déranger les poules. Elles n’aiment pas une pâtée trop liquide (qui colle sur leur bec), ni trop sèche.

Voilà ma recette, je peux vous dire qu’elle est appréciée ! Si j’ai des restants de légumes un peu vieux je les met aussi. Parfois du petit lait, du yaourt ou des fromages qui ont mal vieilli. Vous aurez peut-être noté que je n’ai pas mis de verdure dans la pâtée. C’est parce qu’elles boudent les légumes que je leur met, c’est tellement mieux d’aller manger les feuilles de choux fraiches… 🙄 Ou éventuellement d’aller faire son petit marché directement sur le tas de compost où sont justement les épluchures de légumes 🙂
Bien sûr, si vos poules n’ont pas accès à un parcours herbeux, il vous faudra compenser en ajoutant à la pâtée les épluchures cuites de vos légumes (sauf pommes de terre à cause de la solanine).

Lorsque la lumière commence à baisser, les poules se rapprochent de la maison, et il n’est pas rare qu’elles montent sur le rebord de la fenêtre de la cuisine pour me regarder préparer leur pâtée…

Pendant ce temps-là, de l'autre côté de la fenêtre, il y en a qui n'en perdent pas une miette....

Un coq très intéressé par ce que je fais !

Je sers la pâtée dans des écuelles pour chien, j’en disperse plusieurs au poulailler pour que tout le monde puisse manger à sa faim et sans disputes (les dominants ayant tendance à monopoliser la gamelle s’il n’y en a qu’une).

Servez...

Servez…

Et c’est englouti très vite !

Dégustez !

Dégustez !