Je voulais au départ écrire simplement un article sur l’huile de noix, et vous montrer la mienne, que j’ai pressée moi-même à partir de noix récoltées cet automne dans la campagne. Et puis, de fil en aiguille, de réflexions en interrogations sur le fait de la cuisiner, je vous livre un peu le fruit de mes recherches sur les huiles en général.
Commençons par le commencement. C’est l’été passé que nous avons eu envie, je ne sais pas vraiment pourquoi, de presser notre huile. Avec dans l’idée non pas d’acheter des graines que l’on transformerait, mais de valoriser une ressource locale : les noix et les noisettes.
Mis à part le temps de travail que cela demande, c’est vraiment chouette de déguster sa propre huile.
C’est là que les interrogations arrivent. Tout le monde s’accorde à dire que l’huile de noix, comme d’ailleurs l’huile de noisettes, d’amande, de chanvre, de cameline et bien d’autres, n’est pas faite pour être chauffée, et qu’elle doit être uniquement utilisée à froid en assaisonnement.
L’huile de noix, l’huile des pauvres
Or autrefois, avant les guerres, l’huile de noix représentait 40% de la consommation d’huile en France, le reste étant assuré essentiellement par le saindoux (graisse de porc) et le beurre pour les plus riches.
Mes grands-parents paternels, en Haute-Savoie, possédaient deux noyers et faisaient presser leurs noix au pressoir du secteur, qui n’est plus en activité depuis longtemps. Quand j’étais à l’école primaire je me souviens qu’aux récréations nous avions tous du tourteau de noix qu’on essayait de manger comme on pouvait.
Dans ce contexte où l’huile de noix était l’huile des pauvres (comme les temps ont changé !), je doute que mes grands-parents la réservaient uniquement aux salades… or ils n’avaient pas de problème de cholestérol, ni de problèmes cardiaques.
Alors, pourquoi nous dit-on qu’il ne faut pas faire chauffer l’huile de noix si autrefois on le faisait ?
Même chose pour l’huile de noisette et d’amandes, classées fragiles, sensibles à la chaleur.
Et le praliné alors ? Il s’agit de noisettes ou d’amandes qui ont été caramélisées avec du sucre. La température de caramélisation du sucre est aux alentours de 120°C et le praliné est chauffé davantage. Hautement toxique le praliné ? On fait même du praliné de noix !
Point de fumée
J’ai donc cherché pourquoi l’huile de noix (et les autres huiles dites fragiles) ne devaient pas chauffer. D’une manière générale, toutes les huiles se dénaturent à partir d’une certaine température, engendrant des composés toxiques. On appelle cette température critique « point de fumée » .
Voici quelques températures critiques d’huiles, en degré Celsius :
- Arachide : 232 (raffiné), 160 (non-raffiné)
- Chanvre : 165
- Coco : 232 (raffiné), 177 (non-raffiné)
- Lin : 107
- Soja : 232 (raffiné), 177 (semi-raffiné), 160 (non-raffiné)
- Colza : 204 (raffiné), 177 (semi-raffiné), 107 (vierge)
- Olive : 242 (raffiné), 216 (vierge), 191 (vierge-extra)
- Tournesol : 232 (raffiné ou semi-raffiné), 107 (non-raffiné)
- Tournesol oléique : 160 (non raffiné)
- Pépin de raisin : 216 (raffiné)
- Noix : 204 (semi-raffiné), 160 (non-raffiné)
- Noisette : 221
- Amande : 216
- Beurre : 130
- Beurre clarifié : 252
- Saindoux : 182
Première surprise : la température critique du beurre est de 130°C alors que celle de l’huile de noix est de 160°C ! L’huile de chanvre a même un point de fumée légèrement plus élevé (165°C).
Deuxième surprise, les températures critiques de l’huile de colza et de tournesol non raffinés sont plus basses que celle de l’huile de noix vierge.
Troisième surprise : les températures critiques de l’huile d’amande et de noisette sont plutôt élevées (tant mieux pour le pralin).
Les huiles raffinées
Ces valeurs de température critique mettent en évidence que les huiles raffinées supportent donc mieux la chaleur que leurs équivalents non-raffiné. Mais comment sont raffinées les huiles ? Wikipédia nous l’explique :
Les procédés industriels permettent d’extraire quasiment toute l’huile des graines. Le détail des procédés diffère selon la graine concernée mais les étapes généralement suivies sont :
- trituration (précédée éventuellement d’un chauffage ou d’une cuisson puis d’un broyage): la graine riche en huile est pressée par un procédé mécanique (vis sans fin par exemple). On obtient de l’huile brute et du tourteau (« expeller cake ») qui contient encore de l’huile. Cette première étape concerne par exemple le colza et le tournesol.
- traitement d’extraction par solvant. On ajoute de l’hexane qui est versé sur le tourteau gras et mélangé, le tout est chauffé puis les vapeurs sont condensées, l’hexane est séparé sous vide vers 60-65 degrés ; Pour le soja on commence directement par un broyage et l’extraction à l’hexane car la teneur en huile est assez faible.
- traitement des huiles brutes obtenues par centrifugation pour enlever les résidus solides éventuels ;
- raffinage des huiles brutes : neutralisation (de la soude caustique élimine les acides gras libres et les gommes), clarification à l’argile, filtration, démucilagination (ou dégommage), désodorisation (chauffage vers 240 degrés sous vide avec de la vapeur d’eau), décoloration et autres filtrations. Le raffinage extrait aussi la lécithine, par exemple pour le soja, qui est ensuite purifiée et utilisée dans l’industrie alimentaire.
- les huiles raffinées sont soit embouteillées immédiatement et conservées à l’abri de la lumière, soit entreposées en vrac.
- tourteaux: ceux-ci peuvent être cuits (« toastés ») pour améliorer leur valeur nutritionnelle en alimentation animale. Les tourteaux sont riches en protéines.
Les opérations de raffinage modifient la composition de l’huile d’une part en détruisant des composants bénéfiques pour la santé, tels que les anti-oxydants comme la vitamine E, et peuvent altérer la composition par inter-estérification. D’un autre côté, les cires et les gommes sont éliminées, et les huiles n’ont plus d’odeur désagréable après le raffinage, la stabilité à la chaleur et la conservation sont très améliorés. Il est courant de rajouter, en fin de chaîne, de la vitamine E de synthèse pour rétablir le niveau initial.
A ce stade-là de mes recherches, je n’ai plus envie de consommer des huiles raffinées, qui non seulement ont perdu tout intérêt nutritionnel, mais comportent des traces résiduelles d’hexane qu’on ne peut totalement éliminer. L’hexane est un dérivé du pétrole, un solvant organique proche du benzène.
Les omégas
L’argument avancé pour ne pas faire chauffer l’huile de noix, de chanvre et de cameline, c’est qu’elles sont riches en omégas 3.
Pour la petite histoire, les experts français on longtemps cru que les omégas 3 étaient plus sensibles à la chaleur que les omégas 6, et en 1973 une loi a fixé à 2% maximum la teneur en omégas 3 d’une huile pour qu’elle puisse être vendue autant pour la friture que pour l’assaisonnement. Ce qui a fait les riches heures du tournesol (qui contient principalement des oméga 6), au détriment de l’huile de noix (qui contient surtout des omégas 3).
Cette loi a été supprimée en 2008 (source) parce qu’on s’est rendu compte que non seulement les omégas 6 n’étaient pas plus stables à la chaleur que les omégas 3, mais qu’en plus la population française était devenue carencée en omégas 3 !
Les omégas 3 sont des acides gras essentiels que ni les humains ni les animaux ne peuvent synthétiser. D’ailleurs, pour ouvrir une parenthèse, depuis que les poules et les vaches élevées de manière « industrielles » ne mangent plus d’herbe, source naturelle importante en omégas 3, et bien lait et oeufs n’en contiennent plus. Privilégiez donc le lait et les oeufs bios (autant pour leur bénéfice nutritionnel que pour le respect des conditions d’élevage), ou ayez des poules et laissez-les se nourrir dans votre jardin ! Bannissez maïs et tournesol de leur alimentation, qui ne contiennent pas d’oméga 3 et qui leur sont autant préjudiciables à elles qu’à nous.
Le tournesol oléique
Toujours par rapport à ce désir d’avoir une huile qui supporte la chaleur, on a « inventé » le tournesol oléique. Ce tournesol possède un taux d’acide oléique (oméga 9) proche de celui de l’huile d’olive. Les omégas 9 sont réputés stables à la chaleur. J’ai découvert que ce tournesol oléique avait été obtenu par mutagénèse (processus naturel ou artificiel de mutation génétique). En passant, on a également sélectionné des tournesols naturellement résistants à certains pesticides, d’ailleurs BASF (le plus grand groupe chimique du monde, il faut le préciser) propose des semences de tournesol oléique résistant aux pesticides qu’il fabrique.
Acides gras trans
J’ai dû fouiller le net pour savoir en quoi il était dangereux pour la santé de faire chauffer une huile riche en omégas 3. J’ai bien compris que le fait de faire chauffer une huile près de son point de fumée voir au-delà était toxique, mais en quoi une huile riche en omégas 3 que l’on fait chauffer bien en dessous de son point de fumée peut devenir plus toxique qu’une autre ? J’avoue que je n’ai pas trouvé la réponse.
Certains arguent que les omégas 3 se dégradent en acides gras trans. Mais il semble que les omégas 6 se dégradent aussi en acides gras trans.
Or les acides gras trans existent à l’état naturel dans le lait, la viande et la graisse animale, on en retrouve aussi à l’état naturel dans certaines huiles comme le tournesol et le colza.
Mais ils sont surtout présents dans toutes les huiles hydrogénées. L’hydrogénation est un processus industriel qui permet aux huiles de mieux se conserver et d’êtres semi-solides ou solides. C’est le cas de la margarine, qu’on a longtemps qualifiée « d’aliment santé », et qui est aujourd’hui controversée sur le plan nutritionnel. De plus, il est difficile d’échapper aux huiles hydrogénées dans les produits industriels, et nous en consommons beaucoup trop.
Dans ce contexte d’alimentation trop riche en acide gras trans, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux s’abstenir de consommer des huiles hydrogénées et de cuisiner avec des huiles riches en omégas 3 ?
Température de cuisson
J’ai aussi appris qu’en faisant trop chauffer les huiles et graisses, on créée du benzopyrène. C’est même un sérieux problème avec cette mode du barbecue qui en créée beaucoup quand on cuit mal ses aliments. Le benzopyrène est cancérogène et mutagène, très toxique donc, même à respirer… Et dans ce contexte, ce n’est pas la matière grasse qui est en cause, mais la trop forte température de cuisson.
Un autre composé indésirable arrive quand on chauffe trop fort : l’acrylamide, suspecté d’être neuro-toxique. Il se forme lorsqu’il y a « réaction de Maillard« , c’est à dire quand il y a brunissement des aliments. La réaction de Maillard intervient à partir de 145°C.
Cela dit, en ce qui concerne les fritures, peut-on croire ce que dit l’ITERG qui a réalisé une étude sur les huiles de friture ?
Les résultats ont prouvé qu’après 20 cycles de friture de chips de pomme de terre, réalisés dans des conditions ménagères à 180°C, les huiles testées présentaient une légère dégradation sans pour autant dépasser les critères réglementaires. Lors de cette étude, la formation de benzo[a]pyrène n’a pas été détectée et il n’a pas été constaté d’augmentation significative des acides gras trans.
En tout cas, à ce stade-là de mes recherches, je n’ai pas tellement envie de manger mes aliments cuits à trop forte température, huile de noix ou pas…
Le colza
Après avoir été longtemps accusé de toxicité à cause de l’acide érucique qu’il contient (je vous invite à lire cet ouvrage publié sous license Creative Commons si l’histoire vous intéresse), sans que la preuve en ait été faite sur les hommes, le colza en version « 0 acide érucique » revient au devant de la scène pour son intérêt nutritionnel plus grand que le tournesol et l’huile d’olive. Sa température critique est de 107°C et pourtant, l’AFFSA le 22 juin 2005 a déclaré que l’huile de colza pouvait être chauffée.
Or elle contient à peine moins d’omégas 3 (9%) que l’huile de noix (10%), et pour l’huile vierge sont point de fumée est de 107°C contre 160°C pour l’huile de noix.
Alors l’huile de noix, cuisson ou pas cuisson ? Pour ma part mon choix est fait. Voilà quelques années que nous privilégions la cuisson lente à basse température, les poêles en fer et en fonte nous le permettent, là où les poêles teflon et inox ne sont pas adaptées à ce mode de cuisson. L’huile de noix offre une alternative locale intéressante au tournesol et à l’olive, et j’aime l’idée de produire ma nourriture. Je pense que j’essayerais aussi la cuisson de l’huile de chanvre.
Et si vous pensez résoudre tous vos problèmes avec l’huile d’olive, je vous invite à lire cet article. Rien n’est jamais simple, dans la vie 😉
ouah encore tout un article et complet..vraiment…et vive les huiles naturelles..;)
Super article, merci pour toutes ces précisions ! Je me demandais un peu naïvement : comment presses-tu ton huile ? J’imagine qu’il faut un outil particulier …
En effet il faut une presse à huile spécifique, soit électrique, soit manuelle. Et de l’huile de coude pour casser les noix et autres fruits à coque
Merci pour cet article, très sympa à lire et comme toujours parfaitement documenté
merci pour ces précisions et pour ce lourd travail
Très intéressant, merci beaucoup !
Toujours très intéressant ! merci Sandrine.
Merci pour ce bel article et ces recherches assidues. J’aimerais si tu le veux bien savoir ou tu t’es procuré une presse mécanique à huile? Et le prix que ça a coûté ?
J’aimerais vraiment réaliser mes huiles, je fais mes recherches en ce moment justement.
Passes une bonne semaine.
Bonjour,
J’ai trouvé ma presse ici : https://www.piteba.com/index_fr.html, elle coûte un peu plus de 70 €. Bonne journée à toi aussi 🙂
Bonjour Sandrine,
Merci beaucoup pour taréponse justement un site conseillait la piteba ou rajkumar pour l’extraction d’huile, je vais me pencher sur la questions avant de commander.>
Bonne continuation,
Marine