Cette machine dormait depuis probablement plus de 50 ans dans un grenier de Lorraine, bien emballée dans sa caisse en bois d’origine. Mis à part les aiguilles du plateau (disque à côtes) qui sont manquantes, la machine est en parfait état. La personne qui me l’a cédée préférait qu’elle revive plutôt que continuer à dormir, ailleurs dans un musée ou même chez un collectionneur qui ne saurait pas s’en servir. Merci à elle d’avoir fait des recherches et de m’avoir trouvé.
J’en ai rêvé d’une telle machine…
J’ai très peu de documentation sur les machines à tricoter circulaires destinées au marché français. Il s’en est pourtant vendues, sous différentes marques : la Prévoyante, la Laborieuse, Omnia, la Gauloise, la Ruche, les Travailleurs Réunis et bien sûr la Semeuse… Certaines de ces machines n’étaient pas fabriquées en France, le fabricant (le plus souvent anglais) leur donnait un nom à consonance française pour le marché français.
En revanche, il s’avère que La Semeuse ainsi que La Laborieuse étaient bel et bien fabriquées en France, par les établissements Amineau Frères à Nantes. Fait étonnant, ils existent encore mais ne fabriquent plus de machines à tricoter depuis les années 1960.
Pour en revenir à ma dernière acquisition, vu son nombre d’aiguilles sur le cylindre, 132, elle ne servait pas à tricoter des chaussettes, mais plutôt des bas. D’ailleurs avec la machine j’ai des formes en bois, ainsi que de la soie – ou de la rayonne – très fine. Heureusement que j’ai l’habitude de manier les fils très fins avec le tissage, ça intimide un peu moins 😉 Car cette soie – ou rayonne – est aussi fine que du coton 20/2 (50 grammes = 850 mètres, WPI 68 et 12 -14 fils au cm en tissage), c’est à dire proche du fil à broder.
Ah comme j’aimerais que ma machine me raconte son histoire et me dise tout ce qu’elle a déjà pu tricoter…
D’après mes recherches, elle a dû être fabriquée autour des années 1925-1932. J’imagine qu’un tel achat à l’époque devait représenter un certain investissement. Dans une rare documentation en ma possession, cette machine dans cette configuration coûtait 1375 francs de l’époque. Dans quel contexte on peut être amené à faire cette dépense qui représentait plusieurs mois si ce n’est pas une année de salaire ?
Surtout qu’elle a une particularité, et de taille : elle est équipée pour faire du jacquard.
Alors une La Semeuse c’est déjà peu courant, mais avec l’option jacquard c’est encore plus rare. Le cylindre jacquard est d’ailleurs estampé « breveté », même si je sais que Griswold en Angleterre a aussi fabriqué une machine circulaire capable de jacquard (mais qui diffère légèrement de celle-ci).
Mais pourquoi ces machines à tricoter circulaire françaises sont si peu courantes contrairement à des machines anglaises ou canadiennes ?
Toujours en faisant des recherches j’ai trouvé plusieurs petites annonces dans des journaux, qui demandaient des tricoteuses sur machine, pour du travail à domicile ou même dans des filatures ou usines de bonneterie.
Il est intéressant de noter qu’à cette époque, les filatures de laine elles-même fabriquaient des chaussettes…
Je peux en déduire que c’étaient surtout les entreprises de bonneterie (industrie de la maille) et les filatures qui possédaient ces machines, l’investissement pour un particulier à l’époque était trop important. Dans ce contexte, lorsqu’on a su inventer des machines automatiques qui ont permis d’augmenter considérablement la production, ces petites machines à manivelle sont sûrement parties à la ferraille. 🙁 Ne restent que celles qui appartenaient à des privés.
J’ai donc eu beaucoup de chance qu’une telle machine m’ait trouvée.
Voici un accessoire qui je pense sert à épisser (doubler) le talon et le pied, mais je n’ai pas encore trouvé comment l’utiliser.
Je vois bien où il s’installe, comment y mettre un fil, mais ce fil ne tricote pas. Il doit yavoir quelque chose que je n’ai pas compris. A moins qu’il ne serve que pour les côtes. Mais j’ai des doutes.
A part cela, j’ai pu me servir un peu de cette machine qui tricote à merveille bien qu’elle soit déroutante car elle a deux cames (donc deux réglages de grandeur de maille, une pour le fil principal, une pour le fil de motif jacquard), ce qui occasionne quelques difficultés pour l’utiliser.
Et j’aimerais remplacer les aiguilles du cylindre, qui ne fonctionnent pas de manière très souple. Cependant, ce n’est pas aussi facile que ça en l’air. Les aiguilles sont très fines, bien plus fines que les modèles courants. J’ai contacté un fabriquant d’aiguilles mais qui n’a pas ce modèle. Il me reste un mince espoir avec Angora Valley, et sinon ça sera la dernière chance avec Bertus Van Manen mais avec des aiguilles trop épaisses qu’il me faudra limer. Je n’ai pas envie de toucher à l’intégrité de la machine en limant le cylindre et le plateau pour y faire rentrer mes aiguilles.
Et fabriquer une paire de bas sera vraiment un défit, mais que je compte bien relever ! Si tricoter de la laine à chaussette avec une machine circulaire c’est relativement aisé pour qui a l’habitude, utiliser de la laine fine ou du coton avec tant d’aiguilles, cela va demander patience et minutie. Déjà, je vais avoir besoin d’une loupe ! Mais comment faisaient les femmes à l’époque ?
Pour le plaisir des vieilles machines, voici une vidéo montrant le tricotage en jacquard :
Je termine cet article par un appel à documentation : si vous avez des pages de catalogues, des souvenirs de votre mère, grand-mère ou autre qui aurait pu utiliser une telle machine dans un cadre domestique ou dans une usine, tous vos témoignages, fichiers, documents d’époque, m’intéressent au plus haut point !
Et puis, si vous avez une machine comme ça qui dort dans votre grenier, ou même des pièces détachées, n’hésitez pas à me contacter.